Que
se passe-t-il en Catalogne,
de
l’autre côté de la frontière ?
Gentil
Puig-Moreno, octobre 2012
Comment expliquer ou
faire comprendre à des citoyens français de bonne volonté, qu’ils
soient de Ceret ou d’ailleurs, pétris par une République
française unitaire, centraliste, et profondément jacobine, ce qui
se passe très près de chez nous, en Catalogne Principat et
dans l’Espagne des autonomies ? Doit-on rappeler que celle-ci est
issue de la transition démocratique (1977-1981) qui a décentralisé
et réorganisé l’Etat franquiste en un état moderne de type
fédéral ?
La gageure de
l’explication est de taille, j’en conviens, mais j’en ai
l’habitude. D’un côté, je reconnais avoir été formé, comme
fils d’exilé républicain catalan par cette même école
républicaine française qui, je le reconnais volontiers, a de grands
mérites puisqu’elle m’a moi-même conduit jusqu’à un doctorat
de sciences du langage. Je ne saurai la critiquer, bien au contraire.
Mais d’un autre côté, une chose est l’école, la langue et la
culture françaises, et une autre, bien différente, est
l’organisation de l’Etat républicain, son hypercentralisme et le
peu de respect de sa propre diversité; que ce soit celle des
cultures, dites régionales, ou des cultures immigrées, qui font
pourtant la richesse et la vie des éco-systèmes culturels de toute
société moderne.
De ce point de vue
l’exemple de la Catalogne est un contre-modèle, ou un modèle
différent, de celui de la République française. Il démontre que
l’on peut tout aussi bien intégrer, renforcer le vivre ensemble et
l’égalité, défendre l’école publique et les services publics,
respecter les autres cultures dans une optique de tolérance et de
respect mutuels, tout en affirmant et en consolidant l’identité
historique du peuple catalan. De ce point de vue, et dans sa
modestie, la Catalogne n’a rien à envier à la République
française, car elle aussi, elle a une langue qui a mille ans
d’histoire derrière elle.
Mais dans l’Etat
espagnol, au delà de l’autonomisme ou du fédéralisme, qui en
France n’ont jamais eu cours ni existé, ce modèle semble
aujourd’hui complètement épuisé et de plus en plus refusé en
Catalogne. Les raisons de ce refus sont multiples et elles ne
dépendent pas uniquement de la crise économique. Devant un tel
panorama certains peuvent être confortés par une République “une
et indivisible”. Mon propos n’est pas ici de les dissuader car je
veux parler de la Catalogne.
Aujourd’hui les
responsables politiques catalans se rendent finalement compte qu’une
des erreurs fondamentales du modèle d’Etat autonomiste fut la
formule “cafe para todos”, ce qui signifiait que certaines
régions sans une identité forte ou nationale ne voulaient pas être
écartées du processus démocratique en cours et voulaient en
bénéficier quitte à s’inventer une identité. La Catalogne et le
Pays Basque avaient été les moteurs de cette revendication, à
laquelle se rajoutaient la Galice et l’Andalousie. Dans la
constitution de 1978 on appela historiques ces quatre autonomies,
mais ce n’était pas suffisant pour résoudre la contradiction de
fond concernant les communautés à fort caractère national de
celles qui ne l’avaient pas. Ce modèle inégal a malgré tout
fonctionné pendant 30 ans avec des hauts et des bas. Le Pays Basque
s’en est mieux sorti que la Catalogne car le système de Fueros
historiques Basques a été reconnu et respecté par la
démocratie espagnole. Ce qui signifie qu’elle prélève l’impôt
et renvoie à l’Etat central la part convenue. Rien de semblable
pour la Catalogne et les autres autonomies qui reçoivent (ou pas) la
part qui leur correspond. C’est l’Etat central qui décide en
fonction des majorités aux Cortès et dans les parlements
autonomes.
Si l’autonomie catalane connaît aujourd’hui une crise profonde c’est à cause d’une
concertation économique non respectée depuis des années par l’Etat
Central, qui a aggravé dangereusement la situation économique de la
Catalogne. La Generalitat de Catalunya (gouvernement autonome
de Catalogne) se sent désormais complètement étranglée par l’Etat
central conservateur de droite du Parti Populaire de Mariano Rajoy.
C’est ce que l’on oublie de préciser dans les média français,
contrairement aux média internationaux, surtout anglo-saxons.
La revendication de
l’indépendance éclate aujourd’hui avec une force inouïe et il
semble que les catalans ne veulent plus du modèle autonomiste qui a
été dévoyé de son but originel, et qui est devenu un leurre ou
une impasse pour le peuple catalan. Quant aux forces de la gauche
catalane, qui ont perdu les dernières élections au Parlement de
Catalogne (2010), elle est divisée entre partisans de l’indépendance
(ERC et Inic.-Verts) et fédéralistes du PSC. Cependant, pour que le
fédéralisme puisse fonctionner encore faut-il qu’il y ait des
fédéralistes en Espagne, or rien n’est moins sûr. Du coup les
socialistes catalans sont perplexes et divisés entre ces deux
options. Il faut reconnaître que c’est un débat qui, en France,
semble provenir d’une autre galaxie.
Après un refus récent
de Mariano Rajoy à la proposition du président Artur Mas d’une
Concertation Fiscale approuvée par le parlement catalan, il y
aura dissolution et élections anticipées au Parlement de Catalogne
le 25 novembre prochain. Si les forces politiques favorables à
l’indépendance gagnent ces élections, elles proposeront un
référendum (soi-disant anticonstitutionnel selon le gouvernement de
Madrid). Des militaires à la retraite et la droite néo-franquiste
se mobilisent déjà pour briser ce mouvement populaire. Hélas le
royaume d’Espagne n’est pas la monarchie britannique, ainsi
l’Ecosse aura certainement plus de chance à son référendum de
2014.
Des juristes, des
constitutionnalistes et parlementaires catalans et autres travaillent
intensément à une solution démocratique européenne (l’exemple
pacifique de séparation et dissolution de l’ex-Tchécoslovaquie
est parfois évoqué). Une solution qui pourrait débloquer une
situation de crise politique qui existe ailleurs, en Belgique, en
Italie, au Royaume Uni et en Espagne.
Manifestation du 11
septembre: ext.lavanguardia.es/pans/index.html
(Fête
Nationale de la Catalogne, en mémoire du 11 septembre 1714)